Les murmures de l’Histoire… à propos de Staline

S’il est un pourfendeur tenace de Staline et du stalinisme, c’est bien Nicolas Werth… Ce qui ne l’a pas empêché de publier en 2012 un livre autrefois rédigé par son père, Alexander Werth, qui ne va pas du tout dans ce sens-là… Or, ce dernier avait connu directement la réalité de la vie en Union soviétique tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Il était, en effet, venu à Moscou dès après l’attaque allemande de juin 1941, en qualité de correspondant de guerre britannique.

Né, lui-même, à Saint-Pétersbourg le 4 février 1901, Alexander Werth se définissait comme « issu de la grande bourgeoisie libérale ». Au moment de la révolution bolchevique de 1917, il se trouvait en voyage d’affaires en Grande-Bretagne avec son père, et n’était plus jamais revenu dans son pays natal. Seule la guerre l’y aura donc reconduit, et dans des circonstances particulièrement cruciales.

Selon lui, voici ce qu’était sa position politique au moment de son arrivée à Moscou :
« […] depuis que la menace nazie planait sur l’Europe, je n’avais cessé de prôner une collaboration diplomatique et militaire étroite entre l’Union soviétique et la Grande-Bretagne et n’avais jamais commis la faute de dire qu’« Hitler et Staline se valaient ». J’étais convaincu que, si la politique de Litvinov [commissaire du peuple aux Affaires étrangères] avait échoué, ce n’était pas tant à cause de Litvinov, mais à cause de Chamberlain [Premier ministre britannique] et de Bonnet [ministre français des Affaires étrangères], et je n’étais pas de l’avis que la politique de Molotov, qui avait remplacé Litvinov à la tête de la diplomatie soviétique, était, sur le fond, une politique pro-allemande. Elle était, sous une autre forme et faute de mieux, la continuation de la politique de Litvinov. » (Alexander Werth, Moscou – 1941, Tallandier 2012, pages 16-17)

Par ailleurs, il déclarait :
« Je continue à croire que, de toutes les grandes puissances, l’URSS fut, durant ces années, le seul pays sincèrement attaché à la Société des Nations et que, si Litvinov n’avait pas été lâché par la Grande-Bretagne et la France, la guerre aurait probablement pu être évitée. » (page 17)

Staline portrait

Ce que l’on peut commenter en remarquant que l’URSS – et Staline tout particulièrement – avait parfaitement compris qu’elle serait la cible réelle de tout conflit en Europe.

La suite immédiate du propos d’Alexander Werth n’est pas tendre avec la position réelle de la France et de la Grande-Bretagne de ce temps-là :
« En 1939, l’URSS n’était pas en état de résister seule face à l’Allemagne nazie. Si, après avoir vaincu la Pologne, Hitler avait attaqué l’Union soviétique, il n’y a raisonnablement pas lieu de croire que l’armée française serait allée au-delà de la Forêt-Noire ou que la Royal Air Force aurait lâché autre chose que des tracts au-dessus de Berlin. Une grande partie des Français se serait tellement réjouie de l’invasion de la Russie par l’Allemagne qu’elle aurait chanté les louanges de la «  drôle de guerre » à l’Ouest, davantage encore qu’elle ne l’a fait. » (page 17)

Encore un mot que je reprends de ce qui n’est toujours que l’Introduction au journal tenu par Alexander Werth en quoi consiste son livre :
« D’un point de vue stratégique et géopolitique, du point de vue de ses intérêts nationaux, la Russie avait donc eu « raison » d’occuper la Pologne orientale et les pays baltes. En agissant ainsi, elle avait empêché l’Allemagne de s’emparer de ces territoires pour s’en servir comme d’un tremplin contre la Russie. L’attaque soviétique contre la Finlande ne me plongea pas non plus dans un état d’hystérie, et je trouve toujours aussi stupide l’enthousiasme de sir Walter Citrine pour le maréchal Mannerheim (qui, j’en suis convaincu, a été depuis longtemps un agent allemand, du moins dans le sens large de ce terme). » (page 17)

Retrouvons notre correspondant de guerre à Moscou le 7 juillet 1941, c’est-à-dire quatre jours après le discours radiodiffusé de Staline que j’ai assez longuement cité – et ayons une petite pensée pour… Vladimir Poutine :
« De retour chez Lowell, j’allume la radio. On retransmet d’Allemagne une ridicule propagande antisoviétique. Quelles foutaises ces vieux colonels rouillés de l’Armée blanche nous servent-ils ! Je me demande si j’ai rencontré à Paris l’un de ces propagandistes à la solde d’Hitler. Ils parlent de la situation désespérée de l’Armée rouge, de sa débâcle, de « Staline et de ses Juifs » et de leurs énormes comptes en banque à Buenos-Aires… Et bien sûr, de l’avion supersonique prêt à évacuer Staline à l’étranger quand l’armée allemande sera aux portes de Moscou. » (pages 44-45)

De même, pour se qui suit, faut-il encore garder à l’esprit… Vladimir Poutine. Alexander Werth l’écrit sous la date du mercredi 9 juillet 1941 :
« Je n’ai aucune sympathie particulière pour Staline, mais il faut bien reconnaître que c’est lui, et lui seul, qui, qu’on le veuille ou non, représente le gouvernement soviétique et que la plupart des Soviétiques lui font confiance et le considèrent comme un grand homme. » (page 47)

Plus précisément :
« Le retour à la normale et l’amélioration de la vie quotidienne au cours des deux dernières années sont mis à son crédit. Maintenant que j’ai vu de mes yeux la Russie stalinienne, je me pose la question suivante : quelles sont, en Occident, nos sources d’information sur Staline ? Pratiquement tous les ouvrages qui lui sont consacrés en Occident lui sont hostiles : ceux de Trotski en premier lieu et, à sa suite, ceux de la cohorte des sympathisants trotskistes, comme Max Eastman. Le travail de Boris Souvarine sur Staline est à ce jour le plus important. » (page 47)

En y changeant ce que les temps y ont eux-mêmes changé, mais en nous gardant de trop exagérer les différences entre hier et aujourd’hui, la suite des explications qu’Alexander Werth nous propose est terriblement instructive pour nous aussi :
« La Russie – la Russie de Staline – avait clairement pressenti le danger allemand. L’entrée de la Russie dans la SDN et la politique de sécurité collective de Litvinov étaient une aubaine à saisir par la France et la Grande-Bretagne. Si nos hommes d’État avaient anticipé, ils auraient pu éviter la guerre en saisissant fermement la main de la Russie. Mais à ce moment-là, l’épouvantail communiste et l’espoir qu’un accord pourrait être conclu avec l’Allemagne aux dépens de la Russie – un espoir entretenu par des gens comme Bonnet et de nombreux dirigeants britanniques – se révélèrent être un obstacle insurmontable. La propagande allemande jouait constamment sur la peur du communisme et la moitié de la France et une bonne partie de la Grande-Bretagne écoutaient ce chant des sirènes. » (pages 48-49)

À pas de loups, continuons à suivre la piste qui nous est offerte ici :
« Mais s’il n’y avait pas eu de collectivisation de l’agriculture, est-ce que certains éléments de la paysannerie ne seraient pas aujourd’hui des activistes d’une « cinquième colonne » ? L’absence avérée d’une « cinquième colonne » en Russie est aujourd’hui une réalité indiscutable. Staline est parvenu à ce résultat en préparant son pays à la guerre et en en faisant, dès le début du conflit, une cause nationale. » (pages 50-51)

Et arrêtons-nous momentanément ici :
« Je suis également convaincu que la purge dans l’Armée rouge n’est pas sans rapport avec le fait que Staline croyait en l’imminence d’une guerre avec l’Allemagne. Quelle était la position de Toukhatchevski dans cette affaire ? Des agents français du Deuxième Bureau m’ont dit, il y a longtemps, que Toukhatchevski était favorablement disposé envers les Allemands. Et les Tchèques m’ont raconté l’incroyable visite de Toukhatchevski à Prague. Vers la fin d’un banquet officiel, déjà un peu éméché, il avait déclaré qu’un accord avec Hitler était la seule issue pour la Tchécoslovaquie et l’URSS. Puis il avait entrepris de dénigrer Staline. Les Tchèques s’empressèrent de faire remonter l’incident jusqu’au Kremlin, ce qui mit fin à la carrière de Toukhatchevski et de ses partisans. » (page 51)

Rien que des traces dans le sable de l’Histoire… Peut-être des mots qui n’ont pas cessé de nous dire ce qu’il nous faudra bien finir par entendre…

Michel J. Cuny

Clic suivant : Barbarossa… Dès le premier pas, Hitler avait trébuché


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