par Michel J. Cuny et Issa Diakaridia Koné
Nous reprenons la description que fait Kolapo Lawson, le fils du fondateur du Groupe Ecobank, des activités personnelles et familiales initiées autrefois par celui-ci, et en voie d’être transmises à la nouvelle génération qui a déjà commencé à y mettre la main. Investie par certaines des plus grosses entreprises multinationales, la zone industrielle n’est pas, pour autant, complètement isolée, puisque, ainsi que nous l’avons vu…
« …à l’arrière, nous avons construit une zone résidentielle qui compte aujourd’hui environ 780 familles. » (8 février 2013, sur le site africanbusinessmagazine.com)
Certes, la production d’électricité reste un problème dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Conviendrait-il, pour autant, d’en faire un grand service public au Nigeria, par exemple ? Pas plus que pour le reste : routes, égouts et eau… En effet, constate Kolapo Lawson…
« En fait, l’électricité est le seul défi que nous n’avons pas encore surmonté, nous avons fait tout le reste, nous avons mis des routes, nous avons mis des systèmes d’égouts, nous avons mis de l’eau, des systèmes de gestion du trafic, tout, mais nous n’avons pas de centrale électrique indépendante. C’est notre prochain grand projet. »
… Pourvu seulement que tout cela reste du ressort du… secteur privé, c’est-à-dire des grands intérêts très familiaux que nous voyons se manifester ici comme parfaitement en situation de se saisir de la rentabilité de ce qui assure la survie des peuples…
D’une certaine façon, techniquement, l’avenir est déjà là :
« À l’heure actuelle, toutes les industries ont leur propre alimentation de secours et nous estimons qu’il y a déjà une demande d’environ 50 mégawatts sur les propriétés. Nous avons un permis pour construire une centrale électrique de 100 mégawatts et, en ce moment même, nos gens travaillent sur ce projet. »
Ainsi, le domaine d’Agbara peut servir de vitrine… et susciter des vocations, y compris parmi certaines des multinationales qu’il héberge… Procter et Gamble, par exemple, dont la version française du site officiel (fr.pg.com) affirme :
« Nos marques font partie du quotidien de millions de foyers : que ce soit dans le salon, la cuisine, la buanderie ou la salle de bain, et sont transmises de génération en génération. Depuis 181 ans, elles défient les conventions, sont à l’avant-garde de l’innovation et façonnent la culture populaire. »
Sans doute fort impressionnée par les « services » que la famille Lawson lui offre à Agbara, cette multinationale états-unienne spécialisée dans les biens de consommation courante, qui a son siège à Cincinnati dans l’État de l’Ohio, et qui employait, en 2016, 105.000 personnes un peu partout dans le monde pour un chiffre d’affaires de plus de 65 milliards de dollars, s’est véritablement passionnée pour la chose, avec d’autres, selon ce que semble vouloir en dire Kolapo Lawson…
« Procter and Gamble, par exemple, a fait des recherches, a fait le tour du sud du Nigeria et ils sont venus vers nous parce que nous offrons le package complet. » (africanbusinessmagazine.com)
Si la société Procter et Gamble va, elle aussi, sur ce genre de piste, cela signifie que l’idée est définitivement bonne. Les Lawson en ont donc tiré aussitôt la conclusion qui s’imposait :
« Nous avons acquis une très large bande de terre, non loin d’Abuja, de plus de 1 000 hectares et nous cherchons dans d’autres pays pour voir si nous pouvons faire de même. »
Mais ils sont également devenus des experts de la stratification par classes sociales. C’est le brave Kolapo qui nous l’explique tout tranquillement…
« La phase 1 du logement était principalement destinée aux personnes assez aisées, aux gestionnaires, aux directeurs d’entreprises, aux retraités qui ont beaucoup d’argent mais nous voulons descendre l’échelle, en ciblant les cadres intermédiaires qui peuvent obtenir des hypothèques et acheter un appartement ou une petite maison. »
Maintenant, venons-en avec lui à la mise au point, par son père Adeyemi Olusola Lawson et différents autres intervenants membres de différentes Chambres de commerce de l’Afrique de l’Ouest, du projet qui se traduirait, après quelques années, en ce Groupe Ecobank qui nous a conduits jusqu’à sa famille.
Pour l’essentiel, il s’agit d’un projet nigérian… À la date du 1er mars 2014, le site financialafrik.com écrit dans sa rubrique Archives, et sous le titre Il était une fois Ecobank :
« Le Nigeria a joué le rôle de locomotive dès le début d’Ecobank. N’eut été l’engagement d’Adeyemi Lawson, alors président de la Fédération des Chambres ouest-africaines de commerce, et deuxième actionnaire d’Ecobank, la banque aurait rejoint le cimetière des bonnes idées. »
L’objectif premier poursuivi par celui-ci, et certains de ses pairs, était de pouvoir développer les échanges commerciaux à l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest en surmontant l’opposition, issue de la colonisation, entre les pays francophones et les pays anglophones… Kolapo Lawson résume ainsi la situation :
« Les aspirations commerciales étaient les mêmes, mais les anglophones et les francophones ne se parlaient pas. »
Élément clé de l’ancienne présence britannique dans cette partie de l’Afrique, le Nigeria se devait de mettre en place un appareil financier qui serait sa chose, tout en n’offrant pas d’aspérités trop voyante aux yeux des pays francophones… Ainsi est-ce à Bamako, capitale du Mali, qu’en 1972…
« des hommes d’affaires ouest-africains réunis dans le cadre de la Fédération des chambres ouest-africaines de commerce (FCCAO) évoquent pour la première fois la nécessaire création d’une banque qui faciliterait les échanges inter-africains. » (africanbusinessmagazine.com)
Revenons au récit de Kolapo Lawson qui rapporte les propos que son père lui a alors tenus :
« Je pense que nous devrions créer une banque qui n’appartiendra à aucun pays et nous chercherons des actionnaires de tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Et nous chercherons un pays qui nous donnera les meilleures conditions de siège possibles pour y installer la banque. Nous voulons un pays qui nous confère un statut international, la liberté de circulation des capitaux et aucun impôt. »
Inutile d’aller heurter les susceptibilités… Le siège ne serait pas au Nigeria, ni dans un pays anglophone… Mais où donc l’installer ?… Et où obtenir de n’être pas confiné dans un espace national déterminé, de n’avoir pas affaire à un État plus ou moins intransigeant sur les affaires qui allaient s’engager à partir de cette base, ni sur les revenus qu’il ne chercherait pas à entamer par une fiscalité de fort mauvais aloi ?…
Mieux vaudrait, évidemment, un pays francophone, mais proche géographiquement du Nigeria, tout en ne lui étant pas directement accolé, et suffisamment pauvre pour ne rien avoir à exiger d’autre que de récupérer un peu de notoriété du côté de l’affichage financier… Il paraît qu’avant le pays lui-même, l’un de ses ressortissants était en mesure de tout faire basculer du côté du… Togo. C’est ce que nous apprend le site financialafrik.com :
« Autre idéaliste (c’était ainsi qu’on appelait ceux qui voulaient créer cette banque), le togolais Gervais Koffi Djondo qui fut président du Conseil économique et social du Togo, avant d’être nommé président de la Chambre de commerce du Togo. En 1984, alors ministre des sociétés d’Etat au Togo, l’actuel président d’honneur d’Ecobank allait user de son influence pour balayer les dernières réticences et mobiliser les premiers soutiens d’Ecobank en zone francophone. »
Encore une petite précision :
« Il faut le noter, Ecobank est d’abord lancé par la partie anglophone de l’actuelle CEDEAO. La Fédération des chambres ouest africaines de commerce va s’élargir à la partie francophone en 1979. »
Et en 1979 seulement…
Une réflexion sur “Ecobank et la pénétration de la finance anglo-saxonne en Afrique de l’Ouest”