Le livre de MM. Even et Debré, Guide des 4.000 médicaments, ouvre sur une brève introduction, intitulée « Exergue », qui devrait nous permettre immédiatement d’essayer leur système particulier de douche écossaise : elle vous lessive l’esprit sans que vous puissiez même vous en apercevoir…
Le deuxième paragraphe ayant servi, en quatre lignes, à nous faire mesurer les limites, voire même les dangers, de l’utilisation des médicaments en général, nous arrivons immédiatement à ceci, et dans les caractères choisis par nos deux auteurs :
« Pourtant, les grands médicaments, inventés pour la plupart par l’industrie pharmaceutique dans ses années d’or, de 1950 à 1980, ont, avec l’amélioration des conditions de vie, de logement, de travail, de nutrition et d’environnement, réduit bien des souffrances et contribué à allonger la vie de près de 40 ans depuis 1900, de 15 ans depuis 1950, de 7 ans depuis 1985 et encore de 2 ans depuis l’an 2000, soit de 3 à 4 mois par an, jusqu’au début du siècle et 2,5 depuis. » (page 13)
Si l’on n’y prend garde, il est très difficile de ne pas ressortir de ce texte sans avoir complètement glissé sur ce qui précède immédiatement les caractères gras : « l’amélioration des conditions de vie, de logement, de travail, de nutrition et d’environnement. » Après quoi, il n’y en a plus que pour l’industrie pharmaceutique triomphante (40 années, d’un seul coup, d’un seul), parce que maîtresse, par ses vertus propres sans doute, de la vie et de la mort!
Victoire idéologique d’autant plus facile que, bientôt, le début du quatrième paragraphe en remet une petite couche, à propos toujours du prolongement de la vie :
« Les antibiotiques et les vaccins y ont initialement joué le rôle essentiel en annulant presque la mortalité infantile. »
A eux tout seuls, cette fois-ci !
Mais, comme au théâtre, il est possible de passer à un tout autre décor, sans que la rupture dans l’unité d’espace et de temps ne puisse faire autre chose que nous émerveiller, surtout parce qu’elle ne nous permet pas de reprendre vraiment pied dans l’univers de la logique. Et c’est ainsi que nous en arrivons au huitième paragraphe de ce qu’il s’agissait donc de mettre en « exergue » :
« L’effet principal de tous les médicaments, même ceux dont l’activité est scientifiquement démontrée, est un effet subjectif, dit « placebo » (en latin, « je plais »), dont l’ampleur surprend encore après cinquante ans d’exercice médical. Etre pris en charge et absorber quelques pilules de perlimpinpin suffisent à entraîner un certain degré d’accalmie des symptômes. » (page 14)
Ainsi, tout tient à certaines spécificités des dites « pilules de perlimpinpin » : spécificités que suffit à qualifier l’effet placebo lui-même…, mais rien que lui. Nous voici donc effectivement dans un théâtre d’ombres… Et ça marche, puisque ça marche (!?)
Avant d’aller plus loin, notons tout simplement que, pour autant qu’elle vise l’innovation médicamenteuse – et non pas l’amélioration thérapeutique – l’industrie du médicament s’attache à amadouer l’effet placebo pour son propre bénéfice… Et là aussi, ça marche, puisque ça marche… Voyez donc le Médiator, tel qu’il ressort du rapport établi par l’Inspection générale des affaires sociales, et des auditions réalisées par la mission d’enquête du Sénat.
Puisque, grâce à l’administration de la santé, même quand il devient très clair que ça ne marche certainement pas, ça marche quand même très bien.
Michel J. Cuny