Mots d’amour… Que peut-on en dire ?
Qu’ils appartiennent manifestement à la catégorie reine des « articulations symboliques »…
Cette dernière dénomination s’appuie très directement sur l’origine grecque du terme “symbole”.
Le σύμβολον est un objet brisé en deux, qui peut être reconstitué en faisant s’emboîter les deux moitiés selon l’articulation très spécifique que constitue la ligne de fracture qui les sépare. Pour sa part, le verbe σύμβολεω, qui renvoie à la “rencontre avec”, s’oppose au mot διάβολη qui signifie la “division”, et qui se retrouve en français dans “diabolique”, lequel fait à son tour résonner de façon significative son opposé : “symbolique”.
La reconstitution du “symbolon” établit la preuve qu’il s’agit effectivement de retrouvailles entre deux moitiés séparées depuis très longtemps peut-être : elles se “reconnaissent”, et, à travers elles, les deux personnes qui les détenaient sans pouvoir se “reconnaître” autrement qu’à travers cette “coïncidence”.
Un développement imaginaire de cette thématique se trouve constitué par le mythe des âmes sœurs tel qu’il se retrouve chez Platon pour fournir au couple idéal l’explication de la vigueur du lien qui le constitue.
Autre exemple. Il semble qu’au temps de la Résistance, certains volontaires de la région de Lyon se voyaient remettre la moitié d’un billet de banque dont l’autre moitié les attendait dans le Vercors, la conformité des “retrouvailles” assurant l’authenticité résistante de l’arrivant.
Plus généralement, il saute aux yeux que toute ligne d’écriture est une succession d’articulations symboliques : c’est précisément ce que démontre aussitôt le b, a, ba… Pour que cette “chaîne” d’articulations symboliques ne s’embrouille pas, nous apprenons à la ranger en lignes horizontales qui, en français, vont de gauche à droite, et s’étagent l’une en dessous de la précédente, et puis nous tournons la page, etc… D’un bout à l’autre d’un livre, c’est généralement la même chaîne symbolique qui court… D’un bout à l’autre d’une vie, du cri premier au soupir terminal – et puisqu’il s’agit de parler -, idem.
Plus spécialement, tout travail d’auteur semble devoir porter sur cette “concaténation” millimétrée… C’est ce qui a permis à Dante de souligner que l’une des origines possibles du terme “auteur” lui-même serait « un verbe très délaissé en grammaire par l’usage, qui somme toute signifie “lier des mots”, à savoir auieo… cinq voyelles sans plus, qui sont âme et lieu de toute parole »…
En admettant qu’Eros puisse être déclaré “maître du lien” – activité érotique par excellence -, il ne serait éventuellement pas choquant de vouloir voir dans le parler d’amour une science des “articulations symboliques”, et, pourquoi pas, de prétendre en être l’un des auteurs – l’une des auteuses – (en y offrant son esprit, son cœur et son corps)… C’est évidemment tout autre chose que ce semblant d’articulation en quoi consiste la copulation, dont ne manquent pas de se satisfaire celles et ceux qui ont décidément renoncé à suivre les méandres d’un désir qui est très précisément “destiné” à parcourir, en les épelant, les articulations symboliques qui constituent, à elles seules, le royaume de l’amour, et peut-être la plus excellente des réalités… pour autant que des humains puissent prétendre accéder à des “réalités”.
Michel J. Cuny