Reprenons le fil de l’émission Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, du 18 janvier 2015. Nous en sommes au moment où Jérôme Chapuis pose cette question :
« Est-ce qu’il est permis aujourd’hui, Claude Bartolone, de critiquer cette phrase : « Je suis Charlie« . De porter un regard critique sur ce slogan. »
Claude Bartolone
Avant de prendre connaissance de la réponse du président de l’Assemblée nationale française, signalons que nous avons celle de l’Éducation nationale… https://unefrancearefaire.com/2016/01/05/de-lhysterie-collective-des-adultes-au-mot-dun-enfant-de-8-ans-traite-comme-un-terroriste/
Répondant une dizaine de jours avant qu’un enfant âgé de huit ans se voie imposer l’interdiction absolue de sortir des clous de « Je suis Charlie« , Claude Bartolone répond sur l’éventuel regard critique qu’il était encore possible de porter sur ce nouveau « Sésame » en ce 18 janvier 2015 :
« Mais vous pouvez le faire. C’est l’imam de Bordeaux qui a dit : « Intelligence contre intelligence. Ils écrivent, écrivez. » Je vous résume sa pensée ; je l’ai trouvée très forte : « Ils caricaturent, caricaturez. Ils dessinent, dessinez. » Là-dessus, on est dans les échanges dans le cadre de la loi, en évitant ce que je vous dis, hein : racisme et antisémitisme, qui permettent d’avoir ce genre de débat.«
Il semble donc qu’à ce moment encore, il était possible de ne pas tomber immédiatement au garde-à-vous devant une formule profondément insane.
Mais laissons Claude Bartolone nous en dire plus, dès le 18 janvier 2015 :
« Et je vais vous dire une chose : regardez, ces différentes questions que nous nous posons, la France se les est posées avec la religion catholique. Et on oublie de dire, parce qu’on pense que ça a été un chemin de rose, regardez nos livres d’histoire : ça a été un chemin compliqué. Et il faut que l’on tienne sur les valeurs qui sont les nôtres, les principes de la République, et que très vite dans le cadre de ces contextes, on explique à nos compatriotes musulmans qui ont pour religion l’islam qu’ils doivent pouvoir trouver toute leur place dans la république laïque, en insistant sur quelque chose qui est bien souvent un frein à ce discours, c’est que être laïque, c’est pas être contre les religions, mais c’est permettre à chacun de penser ou de prier librement. »
Le voici revenu à quelque chose qui nous paraît être très raisonnable… D’où vient cette prudence à laquelle ses propos tenus en public cinq jours plus tôt – le 13 janvier – ne nous avaient pas préparés ?
La suite devrait nous permettre de le découvrir.
Alexis Brézet interroge : Quand Laurent Fabius nous dit : « Il ne faut pas parler d’islamisme mais de terrorisme« , quand vous-même, dans ce fameux discours que vous évoquiez tout à l’heure à l’Assemblée, les deux discours que vous avez fait le 13 janvier, vous parlez des automates de la mort, des marionnettes de la tyrannie, vous ne prononcez pas – et je pense que c’est à dessein – le mot « islamisme« , « terrorisme islamiste« , « État islamique« , ça veut dire que les mots sont difficiles à employer. Est-ce que ça ne veut pas dire que les hommes politiques répugnent à employer un certain nombre de mots ?
Claude Bartolone : Mais non ! C’est ce que je vous disais tout à l’heure. Dans la facilité qui est celle du langage courant, combien de fois il y a ce mélange entre islamisme, qui relève d’une religion, et musulman…
Alexis Brézet : Et du coup, vous ne le dites pas ?
Claude Bartolone : Ça permet d’éviter le piège. Et regardez mon discours – je vois que vous l’avez écouté : j’essaie de donner une traduction à l’absence de ces expressions. Et moi, il me paraît beaucoup plus important de pouvoir dire comme je l’ai fait dans au moins un de ces discours : Voilà, compatriotes musulmans, vous êtes des républicains à part entière.
Alexis Brézet : Et quand Manuel Valls dit : « Nous sommes en guerre contre le terrorisme islamiste « …
Claude Bartolone : Je le dis dans mon discours…
Alexis Brézet : … est-ce que, quand on est en guerre, il ne faut pas nommer nous sommes contre qui en guerre ?
Claude Bartolone : Je le dis dans mon discours : nous sommes en guerre contre le djihadisme. »
Quel « piège « Claude Bartolone prétend-il « éviter » ? Celui qui conduirait à laisser transparaître un lien entre les mots « islamisme » et « musulman« . C’est lui-même qui l’affirme : il faut soigneusement distinguer les deux. Mais oui, c’est bien sûr : le premier renvoie trop directement à « islam » !
C’est à quoi il convient de rattacher la dernière phrase du paragraphe précédemment cité :
« […] c’est que être laïque, c’est pas être contre les religions, mais c’est permettre à chacun de penser ou de prier librement. »
Il s’agit donc de « permettre à chacun de penser ou de prier librement « .
Dans ce contexte, il paraît que, selon Claude Bartolone, se replier sur le terme « musulman » permettra d’organiser un cordon sanitaire non religieux autour des mots religieux : « islam« , « islamiste« . Quant à la guerre, il ne conviendrait pas, selon lui, de la placer sous l’intitulé trop clair qu’utilise Manuel Valls : « contre le terrorisme islamiste« . L’adjectif « islamiste » est de trop. Mais, laissé seul, le « terrorisme« , est lui trop neutre… Claude Bartolone préfère le remplacer par un terme grâce auquel il peut ne pas faire de détails : « djihadisme« , et nous berner de belle façon pour peu que nous perdions de vue la signification extraordinairement multiplie du « djihad » et sa parfaite congruence avec l’ensemble de ce qui fait l’islam, et de ce qui habite le musulman en tant qu’il pratique cette religion et en fait l’espace structurant de toute sa vie.
Tout converge donc vers le même but : à mots couverts, c’est-à-dire sous les intitulés « musulman » et « djihadiste« , et sans plus parler ni d' »islamisme« , ni de « terrorisme islamiste« , mener une guerre souterraine contre l’islam lui-même, en tant qu’il est un facteur essentiel dans la résistance que le monde arabe – combattu à mort depuis si longtemps pour ce qu’il avait de nationaliste et de socialiste – mène contre sa soumission aux seules valeurs de la loi du marché et de l’exploitation de l’être humain par l’être humain.
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Michel J. Cuny