11. « Qui nous dit que… »

Le jour J. arriva. Nous décidâmes de nous rendre à l’audience qui avait lieu au Palais de Justice de Lyon. Notre avocat nous mit en garde contre toute possibilité d’intimidation et, même de provocation cherchant à nous faire réagir, venant de l’avocat de la défense qui représentait l’imprimeur vosgien, lequel n’avait pas pris la peine de se déplacer.
L’attitude provocatrice n’allait effectivement pas tarder. Confronté à des documents qui signalaient « une reliure par collage à chaud, plus singalette », mise « par erreur dans le devis » et, donc, dans la facture, l’avocat de l’imprimeur, un jeune freluquet, n’hésita pas à recourir à l’ignominie. Ceci dit, en se tournant tout à coup vers nous… « Qui nous dit que les livres de ces écrivains ne restent pas dans leur salle à manger ? »

Nous qui vivions, depuis une dizaine d’années, de l’écriture de nos livres – des trois romans qui avaient été édités par nos soins – et qui avions été gênés durant tout notre séjour à Lyon par l’épuisement du tirage du roman Le dernier chemin, nous avions dû ravaler notre salive devant une telle abjection. Par ailleurs, nous étions loin d’avoir une salle à manger dans notre pauvre logis pour y conserver nos livres.
Ce triste avocaillon n’aura reculé devant aucun geste ignoble, aucune bassesse.

Face à un argument aussi faiblard, notre avocat aurait pu d’abord répondre à cet avocaillon comme il se devait : “Quand bien même les livres resteraient dans leur salle à manger – ce qui serait tout à fait le droit de ces écrivains de faire de leurs livres ce qu’ils veulent – ces livres, ne devraient-ils pas être correctement fabriqués ? Le travail d’impression et de reliure a été payé à l’imprimeur…”
Qui pire est, l’avocat que nous payions pour assurer notre défense avait dû laisser notre dossier soigneusement fermé sur son bureau… Car il n’allait pas même utiliser les pièces les plus importantes que nous lui avions confiées avec beaucoup de tact et qui justifiaient ce procès intenté contre une imprimerie… peu soucieuse de livrer à ses nouveaux clients un travail de qualité. Notamment les lettres dans lesquelles l’imprimeur reconnaissait lui-même ses propres torts : la « singalette » mise « par erreur dans le devis » et, donc, dans la facture… « Nous n’utilisons plus depuis longtemps la singalette dans nos ateliers. » Et pourtant, cette singalette était réapparue, tout à coup, dans un devis et dans une facture, mais pas dans les ateliers…
Le faux devis manifestait un abus de confiance, la facture alourdie par ce faux devis signalait une escroquerie, auxquel(le)s l’imprimeur ajoutait une négligence coupable puisqu’il n’avait pas même veillé sur la qualité du travail réalisé dans son entreprise. Quant à l’épouse de l’imprimeur qui s’était immiscée dans la conversation téléphonique, elle n’aura rien fait pour remédier à la situation. Tout au contraire.

Le résultat fut à l’aune de ce comportement peu glorieux de ces avocats dans un lieu où est censée se rendre la justice… dossiers à l’appui. Ce fut notre avocat qui nous annonça la nouvelle… « Nous avons perdu une bataille. Nous n’avons pas perdu la guerre. » Nous avions la possibilité de « faire appel », avec de meilleures chances au bout de la salle des pas perdus…

La salle des pas perdus
Palais de Justice, Lyon

12. « Le Feu sous la Cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie »

Françoise Petitdemange Michel J. Cuny
18 mai 2024


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