Cette « souveraineté » proposée par Jean Moulin au peuple français en 1943, et dont aujourd’hui celui-ci, complètement avachi, se fiche comme de l’an 40…

En février 1943, Jean Moulin, venu à Londres, avait contraint Charles de Gaulle à faire figurer l’adverbe « souverainement » dans le texte fondateur de ce qui s’appelait à ce moment-là : le Conseil de la Résistance.

Jean Moulin (1899-1943)

En 1956, à la page 445 du tome des « Mémoires de guerre » dans lequel le Général  prétend donner ce même texte, on rencontre une phrase curieusement « trouée » :
« Afin que le Conseil de la résistance ait le prestige et l’efficacité nécessaires, ses membres devront avoir été investis de la confiance des groupements qu’ils représentent et pouvoir statuer … sur l’heure au nom de leurs mandants. »

La « correction » perpétrée par l’Ogre est intervenue quelques années après la disparition du petit Poucet. Elle a donc été mûrement réfléchie, méditée, voire ruminée. Etait-ce une façon détournée d’authentifier rétrospectivement ce qui s’était produit le 21 juin 1943 à Caluire ? Une façon d’ajouter, à la trahison qui donna la mort à Jean Moulin, la forfaiture qui prétendait réduire à trois points de suspension l’essentiel de ce que celui-ci a déposé dans le patrimoine politique des enfants de France d’après la seconde guerre mondiale ?…

S’agissait-il, plus prosaïquement, de se remettre, après coup, d’une discussion où le petit Poucet avait réussi à imposer « souverainement » à un Ogre qui ne pouvait ignorer qu’à laisser faire, du futur C.N.R., l’organe souverain du temps de la Libération, il ne lui resterait plus à lui, le Général, qu’un rôle second, ou même tout à fait secondaire ?…

Quoi qu’il en soit, la discussion a certainement été assez rude, et l’âpreté s’en laisse deviner à lire l’Ogre qui s’étonne de voir son interlocuteur « devenu impressionnant de conviction et d’autorité ». (page 91 du même ouvrage)

C’est l’endroit de rappeler que, dans la note rédigée fin 1942 – début 1943, Jean Moulin avait écrit à propos de la future autorité souveraine :
« Il ne saurait y avoir de place dans ledit Conseil ni pour les ouvriers de la dernière heure ni pour ceux qui hésiteraient devant les solutions révolutionnaires qui s’imposent. »

À quoi s’ajoute le ton dont, rentré en France, il usera dans son message adressé à De Gaulle le 7 mai 1943 (20 jours avant la première réunion du C.N.R. – souverain en gestation – dont il sera le président). En vrac :
« Si j’insiste sur l’attitude de l’O.C.M. [Organisation Civile et Militaire], c’est moins pour dénoncer ses méthodes, bien connues ici, que pour noter combien vos services ont agi avec légèreté en essayant de faire de cet organisme l’élément principal de la Résistance en Z.N. [Zone Nord] auquel devaient se subordonner les autres formations » ;
« Une fois de plus je suis amené à appeler votre attention sur le danger qu’il y a à faire régler par une mission d’un mois ou deux des problèmes complexes demandant une longue habitude du milieu » ;
« Il est absolument nécessaire d’envoyer des missions en France ; mais ces missions ne peuvent être que de deux ordres : missions permanentes pour un travail précis ou missions d’information et de contrôle. Quelle que soit la qualité des gens envoyés, les missions d’organisation qui ne comportent pas la permanence ne peuvent donner de bons résultats. »

Voilà qui est bien ferme pour un petit Poucet. Ne peut-on pas penser que, du point de vue de l’Ogre et depuis un certain temps déjà, une sorte de fatal compte à rebours avait commencé ?…

Nous voici donc en présence d’un petit Poucet qui a décidément le verbe haut. Ce qui laisse à penser qu’à Londres, en face de lui, il est fort probable que l’Ogre n’en menait pas large… le temps de lui voir le dos tourné… le temps pour Klaus Barbie de s’acoquiner, directement ou indirectement, avec une balance suffisamment précise pour aider à mitonner le bon petit guet-apens du 21 juin 1943 qui allait couper la tête pensante du futur organe souverain en anéantissant celui qui, depuis le 27 mai précédent, en était le président en exercice…

Mais on admettra qu’un seul petit caillou blanc, fût-ce même un rocher, ne peut suffire à tracer, derrière le petit Poucet, la voie où s’engagerait le peuple souverain. De plus, le tour de passe passe réussi par l’Ogre fait naître le soupçon que, peut-être, le mot disparu, trop énorme pour être vrai, n’avait été qu’un rêve, une illusion, voire la conséquence d’un délire momentané chez un homme usé par les angoisses et les fatigues de la résistance sur le sol français…

Certes, Jean Moulin avait été, au temps du Front Populaire, chef de cabinet du ministre de l’Air, Pierre Cot. Certes, cela lui avait valu d’être épinglé par L’Action Française du 26 août 1936  pour l’aide apportée aux républicains espagnols dans leur lutte contre le putsch du général Franco  :
« Nous savons qu’on s’affaire beaucoup en ce moment dans les hangars Bloch de Villacoublay pour mettre au point les deux Bloch 200 destinés au Frente Popular. L’affaire, préparée par M. Moulin,  l’un des hommes de Pierre Cot, se poursuit en dépit des belles déclarations de neutralité. »

Mais, en 1943, Pierre Cot était réfugié aux Etats-Unis.

On remarquera encore que la première réunion du Conseil National de la Résistance a eu lieu au numéro 48 de la rue du Four à Paris, c’est-à-dire chez des amis personnels de Pierre Cot, les époux Corbin. On remarquera de plus que, comme Jean Moulin, les deux secrétaires du C.N.R., Pierre Meunier et Robert Chambeiron, étaient issus du cabinet ministériel de Pierre Cot. Mais Pierre Cot, en 1943, était si loin du sol de France

Michel J. Cuny

N.B. Pour en savoir beaucoup plus, il suffira de se reporter à l’ouvrage :
Michel J. CUNY – Françoise PETITDEMANGE “Fallait-il laisser mourir Jean Moulin ?” Éditions Paroles Vives, 1994.


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