Quand Vladimir Poutine a su voir ce qu’Evguéni Primakov se refusait à regarder en face…

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Nous avions appris, auprès de Vladimir Fédorovski, que la seconde guerre de Tchétchénie avait commencé par une incursion tchétchène dans le Daghestan voisin, incursion voulue par l’oligarque Boris Berezovski qui profitait de l’extension locale de ses réseaux mafieux, pour obtenir une mise en scène tendant à donner le beau rôle au général Alexandre Lebed, tout récemment désigné à la tête du Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie par Boris Eltsine.  Pour sa part, Marie-Pierre Rey écrit :
« En août 1999, le coup de force de Bassaïev organisé au Daghestan pour y soutenir une révolte islamiste, suivi un mois plus tard par la série d’attentats qui, immédiatement imputés à des terroristes tchétchènes par un pouvoir eltsinien aux abois, font plus de 300 victimes sur le sol russe, servent de prétexte au déclenchement de la seconde guerre de Tchétchénie. » (Rey, page 76)

Au-delà des questions de personnes et de l’affichage islamiste, l’acharnement des combats avait permis de pressentir que les enjeux de fond touchaient à des points essentiels de l’histoire russe et, au-delà, de l’ancienne histoire soviétique.

Dans ses Mémoires, Evguéni Primakov, qui a été ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie du 10 janvier 1996 au 11 septembre 1998, puis Premier ministre du 11 septembre 1998 au 12 mai 1999, nous permet de comprendre qu’il a lui-même concentré l’essentiel de son attention sur la part visible de l’iceberg : l’islamisme. Si donc le problème est bien là, d’où vient que les pays impérialistes occidentaux ne reconnaissent pas à la Russie le droit de hisser sa défense au niveau de la menace réelle qui pèse sur elle ? L’homme d’Etat russe avoue sa perplexité :
« Et l’Occident ? Les événements de Tchétchénie ont poussé une partie importante de l’opinion publique à adopter une position antirusse. » (Primakov, page 300)

Se refusant à émettre le moindre doute quant à la position occidentale, il s’avise d’essayer de justifier l’attitude russe en dégageant les options possibles :
« Je distinguerai deux groupes. Le premier est composé de ceux qui ne connaissent pas la situation réelle, ou qui ne prêtent pas attention aux méthodes barbares des boïeviki [nom péjoratif des combattants] tchétchènes. Et il est bien possible que de nombreuses personnalités occidentales soient sincèrement bouleversées par l’importance des destructions et le grand nombre de victimes civiles provoquées par les opérations militaires. » (Primakov, pages 300-301)

La violence serait donc une caractéristique des islamistes ; elle exigerait des Russes qu’ils agissent au moins à l’identique… Et voilà nos pauvres Occidentaux extrêmement choqués…

L’autre option laisse entendre quelque chose de différent, que Evguéni Primakov va se garder toutefois d’approfondir :
« La seconde catégorie rassemble des personnes qui ne perçoivent pas les enjeux stratégiques d’un succès ou d’un échec de l’action militaire russe en Tchétchénie. » (Primakov, page 301)

Ou qui les perçoivent trop bien… et qui trouvent qu’ils sont en voie de réalisation… à condition que la Russie recule devant les violences nécessaires.

Or, même s’il se refuse à en tirer toutes les conséquences quant à la duplicité occidentale qui paraît gémir devant toute violence, et tout spécialement du côté des autorités russes, Evguéni Primakov n’a pas pu manquer de constater quelques éléments troublants :
« Plusieurs faits en témoignent : la rébellion des séparatistes tchéchènes n’est pas un phénomène isolé : présence de mercenaires étrangers au sein des unités de boïeviki ; formation de nombreux combattants à l’étranger ; approvisionnement extérieur en armements et en fonds. » (Primakov, page 301)

Que peut bien cet « extérieur » qui agit sous l’étendard de l’islamisme ? Car Evguéni Primakov ne peut pas s’y tromper :
« Il est capital de comprendre les objectifs de ce soutien. » (Primakov, page 301)

Toutefois, issu qu’il est de l’entourage rapproché de Mikhaïl Gorbatchev et du fatras idéologique en quoi consistaient la perestroïka et la glasnost, le brave Primakov ne paraît pas pouvoir regarder au-delà du cadre beaucoup trop étroit des diverses spécialités islamiques. Son malheur est qu’il en soit même une sorte de spécialiste de par ses activités précédentes. Le voici donc qui s’y engouffre comme à plaisir :
« Depuis que Téhéran a cessé, en raison de la situation politique intérieure de l’Iran, de soutenir le terrorisme d’inspiration chiite, celui-ci a cédé la place à un extrémisme beaucoup plus dangereux. Car les dérives du sunnisme, et notamment du wahhabisme, disposent d’un soutien potentiel bien plus large que le chiisme (les Chiites forment moins de 10 % de la population musulmane mondiale). Le wahhabisme, religion officielle de l’Arabie Saoudite, n’est pas dangereux en soi. Mais, selon une interprétation particulière qui jouit d’une certaine popularité sur le territoire de l’ex-URSS, il s’est transformé en un mouvement agressif et extrémiste dont l’objectif est d’imposer aux populations musulmanes un modèle politique et social intégriste. » (Primakov, page 301)

Evguéni Primakov connaît pourtant très bien le rôle joué par l’Arabie Saoudite dans la baisse soudaine des prix du pétrole au moment de l’effondrement de l’Union soviétique… et pour les beaux yeux des États-Uniens… qu’il oublie d’aller chercher derrière l’islamisme guerrier… De même qu’il ne sait plus les voir, ces États-Uniens là où pourtant ils ont fait tant de mal à la même Union soviétique :
« La situation s’est aggravée lorsque l’Afghanistan est devenu un vivier de cet extrémisme, sous le régime des taliban en particulier, avec l’approbation tacite du Pakistan qui possède la première « bombe atomique islamique ». » (Primakov, page 301)

Voilà même que l’ancien Premier ministre de la Fédération de Russie s’engage à fournir sa version d’un épouvantail qu’on devait retrouver plus tard du côté de l’Irak et de la Syrie :
« De fait, la Tchétchénie n’est pas un phénomène isolé. On observe des tentatives visant à créer un Etat islamiste au centre de l’Europe : une « Grande Albanie » qui comprendrait le Kosovo, le Sandjak, une partie de la Macédoine, la partie musulmane de la Bosnie. Les islamistes visaient peut-être la création d’un triangle stratégique islamiste composé de l’Afghanistan, du Caucase du Nord et du Kosovo. Les détracteurs de l’action de la Russie dans le Caucase sont-ils vraiment atteints de cécité ? » (Primakov, page 301)

Mais non, bien sûr… Et fort heureusement, Vladimir Poutine saurait très vite se dépouiller de toute cette fantasmagorie pour regarder en face, et sur le fondement d’un État enfin digne de son passé soviétique, la réalité « occidentale »… décidée, tout simplement, à faire de la Russie rien de plus qu’un protectorat.

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Michel J. Cuny


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