Nous avions quitté Vladimir Poutine au moment où, dans un article publié sur le site du gouvernement de la Fédération de Russie le 31 décembre 1999, il annonçait à ses compatriotes qu’il allait falloir « faire de notre mieux pour attirer le capital étranger dans notre pays ».
Aujourd’hui, c’est-à-dire une petite vingtaine d’années plus tard, la ligne générale a manifestement changé… Pour quelles raisons ? C’est ce que nous allons regarder de plus près en essayant de définir le système des rapport de classes dans lequel la trajectoire politique de Vladimir Poutine s’est inscrite.
Revenons une dizaine d’années en arrière, et plus précisément au printemps de 1989, alors qu’entre le 26 mars et le 23 mai, un Congrès des députés du peuple de l’URSS vient d’être élu. Andreï Kozovoï nous décrit l’ambiance qui règne entre les élus conservateurs (ceux qui ne veulent pas se couper du soviétisme) et les élus libéraux (ceux qui souhaitent que s’instaure une économie de marché) :
« L’opposition entre les deux prend des accents de « lutte des classes », les premiers, surtout issus de milieux ouvriers, vouant une haine profonde aux seconds, issus de l’intelligentsia moscovite. » (Kozovoï, La Chute de l’Union soviétique 1982-1991, Éditions Tallandier, 2011, page 189)
Rappelons que nous sommes ici à l’échelle de l’Union soviétique tout entière, et qu’il ne s’agit pas encore de la seule Fédération de Russie dont Boris Eltsine n’allait guère tarder à devenir le premier président pour mettre en œuvre, à Moscou tout spécialement, les rêves de la « libéralisation »… Cette « libéralisation », les ouvriers ne paraissent guère en vouloir… Ils s’en trouvent séparés par une « haine » réciproque qui les oppose à une intelligentsia moscovite dont nous ne savons encore que peu de choses.
Un an plus tard (4-18 mars 1990), un Congrès des députés du peuple de RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie, future Fédération de Russie) est élu à son tour. Le 12 juin 1991, il désigne Boris Eltsine comme son premier Président…
Ayant rappelé tout cela, Andreï Kozovoï nous indique le signal immédiatement donné par ce grand pourfendeur du régime soviétique qu’était Boris Eltsine :
« […] son premier décret, hautement symbolique, concerne les enseignants, dont on augmente les salaires […]. » (Idem, page 265)
Serions-nous, là, en présence d’une branche de l’intelligentsia précédemment évoquée comme en butte, jusqu’à la haine réciproque, avec les ouvriers ? Vladimir Poutine aurait-il finalement été l’héritier de Boris Eltsine ?… Se serait-il rangé parmi ceux que les ouvriers russes ont appris à haïr ?
C’est ce que nous aimerions savoir. À titre personnel, nous pouvons souhaiter ceci plutôt que son contraire. Mais nos désirs n’ont rien à voir là-dedans : il nous faut continuer à nous orienter à partir de faits précis.
Lorsque Boris Eltsine devient président de la Fédération de Russie le 12 juin 1991, il s’agit pour lui d’un moment très important. C’est depuis cette magistrature, qui ne concerne donc que la Russie, qu’il va pouvoir faire éclater cet ensemble beaucoup plus vaste qu’était l’Union soviétique, alors présidée par Mikhaïl Gorbatchev élu dès le 14 mars 1990.
Quelle était la ligne politique de fond suivie par celui-ci, c’est-à-dire par le promoteur de la perestroïka (privatisation) et de la glasnost (libération de la parole) mises en œuvre, sous son autorité, dès 1985 ? Référons-nous à Hélène Carrère d’Encausse qui écrit :
« Un accord implicite, que nul n’oserait formuler, s’établit entre Gorbatchev et l’élite intellectuelle et artistique du pays pour jeter bas l’univers de contrainte idéologique. » (H.C.E., Six années qui ont changé le monde – 1958-1991, Fayard, 2015, page 54)
Nous revoici en présence de l’intelligentsia que n’aiment guère les ouvriers… C’est bien elle qui compte obtenir quelques modifications significatives… Modifications qui ne paraissent guère enchanter ceux qui s’opposent à elle… jusqu’à la haine… réciproque… qui marque la lutte des classes…
Abordant maintenant la situation au moment où elle ne va pas tarder à basculer en faveur de Boris Eltsine, et au détriment de Mikhaïl Gorbatchev, Hélène Carrère d’Encausse se soucie de la place encore tenue, dans l’ensemble du système soviétique, par le parti communiste. Qui veut encore de lui ? Et qui n’en veut plus ?…
« Gorbatchev savait que le Parti était discrédité. Mais cette désaffection était surtout le fait des élites, de la partie la plus éduquée de la population, celle des grandes villes. » (Idem, page 182)
Ne serait-ce pas cette désormais fameuse intelligentsia dont la part la plus significative se trouvait à Moscou ? Celle dont les ouvriers abhorraient les orientations politiques ?
Dans un livre dont la rédaction a été dirigée par Marie-Pierre Rey, Martine Mespoulet fournit une liste non-exhaustive, mais très parlante, des soutiens de Gorbatchev et d’Etsine, dans leurs politiques concurrentes de démolition de l’Union soviétique. Non sans nous donner très vite le bilan catastrophique sur lequel a débouché, pour eux, c’est-à-dire pour l’intelligentsia prise dans sa globalité – et non pas dans les rares exceptions qui auront trouvé à s’exporter vers l’Occident – l’entêtement à briser le parti communiste soviétique. Voici donc…
« […] ceux que l’on pouvait inclure dans la classe moyenne à l’époque soviétique. Il s’agit principalement de l’ensemble des populations intellectuelles du secteur d’État, ingénieurs, enseignants, chercheurs, médecins, architectes, officiers de l’armée notamment, qui ont accueilli avec enthousiasme la perestroïka, mais ont connu une détérioration de leur niveau de vie et souffrent d’un sentiment de déclassement social. » (Marie-Pierre Rey, Les Russes de Gorbatchev à Poutine, Armand Colin, 2005, page 194)
Or ce dernier phénomène aura été déterminant : il a ouvert l’accès pacifique, à la magistrature suprême de la Fédération de Russie, d’un représentant émérite – un certain Vladimir Poutine – d’un vestige déterminant de feue la dictature du prolétariat ouvrier et paysan… Lisons Vladimir Fédorovski :
« Gorbatchev avait entrepris à l’époque de consolider son emprise sur les principaux centres décisionnels du pays, non sans commettre une erreur capitale, qu’il résuma de la sorte : « Nous avons voulu garder notre influence sur le parti, oubliant le KGB, ce véritable État dans l’État, l’adversaire le plus dangereux des réformes. » » (Vladimir Fédorovski, Poutine, l’itinéraire secret, Éditions du Rocher 2014, page 51)
… et l’ami le plus sûr des ouvriers et de tous les véritables producteurs de richesses.
Michel J. Cuny
NB : Pour entrer davantage dans la réflexion conduite ici, et l’étendre à des questions bien plus vastes, je recommande que l’on s’inscrive dans le groupe « Les Amis de Michel J. Cuny (Section Vladimir Poutine) » sur Facebook.
Partiellement d’accord avec cette analyse.
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J’ai toujours trouvé bizarre d’entendre les gouvernants de tous les pays déclarer à un moment ou à un autre qu’il fallait attirer les investisseurs étrangers. Pourquoi ne pas dire aux citoyens: Vous voulez manger créez, travaillez, retroussez vos manches, suez mais produisez! Comment faisaient nos ancêtres? Il n’y avait pas de multi nationales à séduire, il n’y avait pas de faux financiers qui empruntaient à Paul pour habiller jacques et percevoir au passage une très grosse commission d’intermédiaires.Les hommes se contentaient de peu et élevaient dignement leur progéniture, la preuve nous sommes là. En fait, cette globalisation a été patiemment mise en place pour démobiliser les peuples, leur faire oublier leur talent et leur savoir-faire, les mettre à la merci de la finance internationale et du secteur tertiaire, et confisquer jusqu’aux graines pour manipuler l’agriculture et la démographie.Nous sommes en marche pour une humanité au nombre régulé et à la race planifiée.
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